Tournons nos yeux vers l’Arménie
Interview de Pascal Portoukalian, auteur de La Pensée de Pascal, présent sur le territoire arménien depuis 1 an.
- Pascal, tu es Français d’origine arménienne et Dieu t’a appelé à aller t’installer pour quelque temps dans ton pays d’origine, comment ces choses se sont passées ?
Au début de l’année 2022, à trois reprises, nous entendons la voix de l’Esprit nous demander d’aller en Arménie. Jusque-là, nous n’y étions allés mon épouse et moi qu’une seule fois et c’est là que nous nous étions rencontrés. En avril 2022, nous y sommes donc allés et avons prié le Seigneur de confirmer. Le jour même, en allant dans une église à Erevan, le pasteur a prêché sur le départ d’Abraham. Notre décision était prise : nous nous sommes installés 3 mois après. Nous sentons chaque jour que notre place est ici pour les temps que nous vivons, avec les rencontres que nous faisons, l’aide aux réfugiés que nous venons de mettre en place. Nous ne sommes pas de grands voyageurs, ayant vécu nos 19 premières années de mariage à Valence. Nous prions toujours pour être disponibles entre les mains de celui qui tient nos vies.
- Tu nous rends attentifs à ce qui se passe en ce moment, peux-tu nous dépeindre la situation ?
L’Arménie est un pays qui a été évangélisé directement par les disciples de Jésus : Barthélémy et Jude. En l’an 301, l’Arménie adopte le christianisme comme religion d’État, suite à la guérison miraculeuse du roi. C’est l’un des peuples les plus anciens du monde (on les appelle “les peuples-monde”) qui ont réussi à travers les âges à faire perdurer leur culture (avec les Chinois, les Indiens, les Juifs, les Perses (Iraniens), et les Grecs). C’est leur alphabet et leur foi chrétienne qui les ont fait perdurer depuis tout ce temps dans une partie du monde très complexe.
En 1917, la fondation de l’URSS intègre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. En 1918 est formée la République d’Azerbaïdjan (97% de musulmans). Les provinces du Haut Karabagh et du Nakhitchevan étaient peuplées très majoritairement d’Arméniens. Staline décida de les donner à l’Azerbaïdjan, permettant que les conflits locaux évitent de se concentrer sur la dictature du régime central soviétique. Aujourd’hui, le Nakhitchevan n’a plus aucune de ses 89 églises et ne compte plus d’Arméniens. En 1991, l’URSS implose et chaque pays prend son indépendance. L’Artsakh (appelé par les azéris le Haut-Karabagh) ne peut pas envisager de passer sous la dictature azérie et proclame son indépendance au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce territoire est en effet arménien depuis environ 2500 ans, et chrétien depuis le 4ème siècle. Eclate alors une guerre de trois ans qui aboutit à une victoire des Arméniens. De 1994 à 2020, des attaques de plus faible envergure sont régulièrement menées par l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabagh. C’est un Etat qui fonctionne en démocratie.
En 2018, le premier ministre arménien se rapproche de l’Europe et des Etats-Unis pour prendre de la distance vis-à-vis de la Russie dont l’influence était jugée pesante. Les soutiens étant distendus, l’Azerbaïdjan lance une opération de récupération de ce territoire en 2020. Cette opération éclair permet aux Azéris de récupérer les 3/4 de la superficie du Haut-Karabagh et l’enclave presque totalement en Azerbaïdjan. Il ne restera qu’un étroit corridor le reliant à l’Arménie, sensé être protégé par les casques bleus de la Russie.
Nous arrivons en décembre 2022 où l’Azerbaïdjan rompt les accords de 2020 et postent un blocus sur le corridor prétextant une raison « écologique ». Depuis, même la Croix-Rouge ne peut plus passer, la population est étouffée. Le 19 septembre 2023, l’attaque rapide de l’Azerbaïdjan sur le reste du Haut-Karabagh est menée, le gouvernement arménien ne pouvant pas s’engager dans la riposte.
Il y a une véritable volonté d’élimination et d’effacement de la culture arménienne sur le territoire du Haut-Karabagh, avec des actes ignobles et génocidaires. Le patrimoine est démoli. Les prochaines étapes annoncées par l’Azerbaïdjan sont la conquête du sud de l’Arménie puis de l’ensemble du pays, la soif de conquérir n’étant jamais assouvie.
Derrière toute cette manœuvre sont activés différents leviers. On peut raisonnablement supposer que l’Organisation des États Turciques (OET) est l’un d’entre eux. Cette organisation internationale regroupant les États de langues turciques a été fondée en 2009 au Nakhitchevan (ancienne province d’Arménie) par l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Turquie. La Hongrie en est devenue un État observateur en 2018. C’est le grand rêve de Recep Tayip Erdogan de réaliser cette nouvelle alliance, ce nouvel Empire ottoman : un territoire grand comme l’Union Européenne. Il restait deux obstacles sur le chemin à faire tomber : le Haut-Karabagh et l’Arménie. Le premier est désormais réglé
De son côté, l’Iran, la nation perse, a besoin d’atteindre la mer Noire en passant par l’Arménie et la Géorgie. A ce titre, elle joue aujourd’hui un rôle de protecteur envers l’Arménie.
- Quelle est la réaction du peuple arménien ?
La diaspora arménienne, c’est environ 9 millions pour un pays comptant 3 millions d’habitants. L’Arménie est presque « habituée » aux attaques azéris depuis toujours. Il y a une peur qui est chronique parce qu’ils sont petits. Pour la diaspora, ce qui s’est passé ces derniers mois l’a profondément touché.
- L’Azerbaïjan utilise toutes ses cartes pour grignoter le pays, quel avenir vois-tu ?
Si l’Azerbaïdjan prend le sud de l’Arménie, cela pose vraiment la question de la viabilité du reste du pays. L’Iran pourrait se positionner pour préserver ses frontières avec l’Arménie. L’Arménie n’a pas d’accès sur la mer, c’est un pays enclavé entre 4 pays. Les jeux de diplomatie sont donc à mener de manière très fine.
- Par certains aspects, peut-on comparer cette situation à ce qui est arrivé à plusieurs reprises au peuple juif ?
Beaucoup de points nous rapprochent. C’est un peuple qui a vécu des siècles durant sans avoir son propre pays, étant sous diverses dominations pendant près de 600 ans (arabe, perse, ottomane, russe, romaine, mongole). C’est un peuple qui a été dispersé dans le monde, qui a vécu un génocide, qui s’est toujours bien intégré dans les pays où ils ont été accueillis.
- Quelle est la présence évangélique sur le territoire arménien ?
On compte aujourd’hui entre 70000 et 80000 évangéliques toutes tendances confondues.
- Comment le chrétien que je suis peut aider dans cette situation, au-delà de la prière ?
Il existe plusieurs associations de confiance qui viennent en aide aux réfugiés arméniens d’Artsakh. J’ai mis en place une collecte avec l’association Un Verre d’Eau.
Les associations Espoir pour l’Arménie (issue des églises évangéliques arméniennes), et Solidarité Protestante France-Arménie (issue des églises réformées de France) font aussi un excellent travail sur place.
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