Les six jours de la création

Par Jean-Marc Botteron, pasteur à Toulouse Ouest

Le sujet des six jours de la création a souvent été un objet de controverse dans les milieux chrétiens, suscitant des interprétations divergentes. S’agit-il de jours de vingt-quatre heures ?

Le mot jour (hébr. yom) peut-il avoir un sens plus large et couvrir des millénaires ? Peut-on concilier les découvertes scientifiques et le récit biblique de la création ? Nous présentons ci-dessous les quatre principales interprétations avancées par les théologiens.

1. L’interprétation littérale

L’interprétation littérale est la plus ancienne et la plus globalement suivie à travers l’histoire de l’Église jusqu’aux récentes découvertes scientifiques qui ont bouleversé notre conception de la cosmologie. Le récit est interprété dans son sens le plus simple, tel qu’il a dû être compris par Moïse. Les jours de la création sont à prendre au sens ordinaire de vingt-quatre heures. L’expression « soir et matin » est la manière habituelle de désigner les jours chez les hébreux. Le décalogue contient l’affirmation explicite des six jours de la création :

« Car en six jours l’Éternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s’est reposé le septième jour : c’est pourquoi l’Éternel a béni le jour du repos et l’a sanctifié » (Ex 20.11).

De plus, le mot « jour » associé à un adjectif numéral désigne toujours une période de vingt-quatre heures dans la Bible.

Le récit est chronologique. Il décrit méthodologiquement la manière dont Dieu a créé les cieux et la Terre. Cette interprétation est la plus naturelle et celle qui respecte le mieux le texte tel qu’il a été rédigé. Elle implique une Terre jeune, de 10 000 à 20 000 ans, contrairement aux 4,5 milliards d’années avancés par la science. La création d’Adam remonterait à environ 4000 avant J.-C. (cf. Mc 10.6 où Jésus situe le premier couple « au commencement de la création »). Le déluge, survenu du temps de Noé, expliquerait les phénomènes géologiques d’ancienneté apparente de la Terre et les fossiles millénaires.

2. L’interprétation de la restitution

Selon l’hypothèse de la restitution, appelée aussi la théorie de l’intervalle (de l’anglais gap theory), il y a eu plusieurs milliards d’années entre le premier et le second verset de Genèse 1. Elle a été popularisée par Cyrus I. Scofield (1843-1921), qui l’incorpora dans la première édition de la Bible avec notes d’étude portant son nom.

Dieu a fait une première création. Mais la révolte de Satan et la chute angélique ont apporté le chaos sur la Terre. Celle-ci est tombée sous le jugement divin. Il faudrait traduire « la terre devint informe et vide » (Gn 1.2). L’expression « informe et vide » (1), ainsi que « les ténèbres » mentionnées dans le contexte, sont associés à un jugement de l’Éternel dans l’Écriture (Es 34.11 ; Jr 4.23). À partir de Genèse 1.3, Moïse a rédigé une seconde création en six jours de vingt-quatre heures. Le monde a été rétabli après la période glacière. Les découvertes de fossiles anciens et les dinosaures sont les restes de la première création. Toute contradiction entre la Bible et la science est ainsi aplanie.

(1 )  De l’hébreu tohou, « informe », et bohou, « vide, désert ».

3. L’interprétation concordiste

Cette interprétation s’efforce de faire « concorder » la Parole de Dieu avec les découvertes scientifiques. Les jours ne sont pas pris au sens littéral, mais correspondent à de longues périodes indéterminées. L’enjeu du débat s’articule autour du mot jour (hébr. yom). En hébreu, comme en français, il peut être employé dans un sens étroit ou large. Il n’est pas toujours utilisé pour désigner une période de vingt-quatre heures dans la Bible : « Car mille ans sont, à tes yeux, Comme le jour d’hier, quand il n’est plus, Et comme une veille de la nuit » (Ps 90.4). Dans le récit même de la Genèse, le terme yom désigne à lui seul la période des six jours de la création : « Ce sont ici les générations des cieux et de la terre lorsqu’ils furent créés, au jour que l’Éternel Dieu fit la terre et les cieux » (Gn 2.4, Darby). Le « jour » où l’Éternel parla à Moïse dura en fait 40 jours (Nb 3.1, Darby). Ce terme est utilisé de manière indéterminée dans de nombreux passages : le jour du malheur (Dt 32.35) ; le jour de l’Éternel (Jl 1.15) ; le jour du salut (2 Co 6.2) ; etc. Il peut aussi évoquer « un séjour » (hébr. yom) sans durée précise (Gn 26.8).

Le sixième jour comprend tant d’éléments qu’il a dû durer plus de vingt-quatre heures : la création des animaux, de l’homme et de la femme, les consignes données pour garder le jardin, le temps nécessaire pour nommer les animaux, etc. Le septième jour, le repos de Dieu, ne se termine pas par l’expression « soir et matin ». Certains théologiens estiment que ce jour-là a duré plus de vingt-quatre heure, car il ouvre une perspective indéfinie (cf. Jn 5.17). Selon la Bible annotée : « comme l’essence de ce jour est que Dieu cesse de créer quelque chose de nouveau, et que l’état de choses fondé alors dure encore, nous sommes amenés à penser qu’aux yeux de l’auteur et quant à ce qui concerne l’œuvre de la nature, le repos du septième jour dure encore (2). » Si le septième jour a duré plusieurs milliers d’années (en fait, jusqu’à aujourd’hui), il est possible que les premiers jours aient duré des millions d’années.

(2 ) Bible annotée, Genèse 2.3 (italiques ajoutés).

4. L’interprétation littéraire

Selon l’interprétation littéraire, appelée aussi théorie du cadre, le récit de la création n’est pas une description scientifique ou chronologique des évènements, mais une approche spirituelle présentant la structure de la semaine avec le sabbat en point culminant. Cette conception n’est pas récente, puisque saint Augustin (ve siècle) en avait déjà proposé une similaire (3). Elle met en avant le double but poursuivi par Moïse dans sa présentation :

  • (1) Montrer que Dieu est le créateur de tout ce qui existe ;
  • (2) L’institution de la semaine comprenant six jours de travail et un jour de repos consacré à l’Éternel. Le septième jour, appelé sabbat, est réservé à l’adoration. Henri Blocher, un des plus vigoureux défenseurs de cette thèse, écrit : « L’intention de l’auteur, ce n’est pas de nous livrer une chronologie originelle ; il se peut que l’ordre logique qu’il a choisi coïncide grosso modo, ici ou là, avec la succession effective des faits de la cosmogénèse : ce n’est pas cela qui l’intéresse. Il veut mettre en valeur des thèmes et une théologie du sabbat (4). »

(3)  Il soutenait une création de six jours simultanés en un seul jour à partir de Genèse 2.4 : « au jour que l’Éternel Dieu fit la terre et les cieux » (De la Genèse, V, 3, 6). Les trois premiers jours contenaient en germe les éléments constitutifs des trois suivants, le septième jour étant à part (De la Genèse, IV, 2, 6).

(4 ) Henri Blocher, Révélation des origines, Lausanne, Presses Bibliques Universitaires, 1988, p. 44.

La présentation des sept jours successifs ne peut pas être due au hasard. Le récit est écrit dans un style littéraire poétique, laissant apparaître une admirable structure de deux triades de jours qui se correspondent. Le septième jour est le point culminant.

Tableau présentant les six jours de la création :

Les six jours de la création

Jour 1

Lumière – Ténèbres

Jour 4

Soleil – Lune

Jour 2

Eau – Ciel

Jour 5

Poissons – Oiseaux

Jour 3

Terre – Végétation

Jour 6

Animaux – L’homme et la femme

Jour 7

Création achevée – Repos de Dieu (sabbat)

Cette remarquable symétrie a un sens pédagogique. Les trois premiers jours laissent apparaitre la préparation d’un environnement. Les trois jours suivants concernent le « remplissage » ou « peuplement » de cet environnement. Le prophète Ésaïe évoque une présentation similaire :

« Car ainsi parle l’Éternel, le créateur des cieux, le seul Dieu, qui a formé la terre, qui l’a faite et qui l’a affermie, qui l’a créée pour qu’elle ne soit pas déserte, qui l’a formée pour qu’elle soit habitée : Je suis l’Éternel, et il n’y en a point d’autre » (Es 45.18).

Cette théorie a l’avantage de supprimer bon nombre de difficultés : plus de confrontation avec le discours scientifique et les ères géologiques millénaires ; plus de contradiction au sujet de la création tardive des astres au quatrième jour, mais elle trouve admirablement sa place dans la structure symétrique ; plus de problème de chronologie, notamment avec le second récit de la création, où les animaux apparaissent après l’homme (Gn 2.4-25). Enfin, cette approche explique bien l’importance que prendra le sabbat dans la vie du peuple hébreu. Dans la semaine, six jours sont réservés au travail et un jour à l’Éternel (Ex 20.8-11).

En conclusion, aucune interprétation n’éclipse complètement les autres sans soulever certaines difficultés. La création garde une part du mystère divin. L’interprétation littérale implique une création récente et entre en conflit avec les découvertes scientifiques actuelles. Elle explique mal comment on peut parler de trois premiers « jours solaires » alors que le Soleil n’est créé qu’au quatrième jour. La théorie de la restitution n’a pas suffisamment d’appui dans le texte biblique qui n’accrédite pas l’échec d’une première création. Le concordisme a l’avantage de bien s’accorder avec la science, mais entre en conflit avec l’exégèse du texte biblique. L’approche littéraire nous semble être la mieux placée, à la fois pour le respect des Écritures, dont le message est avant tout spirituel, et pour le dialogue avec la science.

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