L’altérité en alliance : une vocation à l’image de Dieu
Genèse 2/18–25
Par Jean-Marc DI COSTANZO, spécialiste en exégèse biblique
Avec le verset 18, le récit de la création en Genèse 2 prend un tournant significatif : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ; je lui ferai une aide semblable à lui. »
Alors que tout, jusque-là, semblait parfait, Dieu pointe une incomplétude. Ce constat révèle une vérité fondamentale : l’être humain est créé pour la relation —non seulement avec Dieu, mais aussi avec un vis-à-vis, un alter ego. L’humanité, dès l’origine, est appelée à vivre dans une altérité en alliance.
Dieu ne comble pas cette solitude par n’importe quel moyen : il crée une aide qui lui soit assortie — une expression qui, dans l’hébreu biblique (ʿēzer ke-negdô), parle d’un soutien correspondant, égal et complémentaire. Loin d’un langage de hiérarchie, le texte évoque la parité et la réciprocité. Le terme ʿēzer (« aide ») ne doit pas être entendu dans un sens subalterne, car il est souvent utilisé dans l’Ancien Testament pour désigner Dieu lui-même comme secours de son peuple (Psaumes 33/20 ; 70/6). L’expression ke-negdô peut être traduite par « en face de lui », c’est-à-dire une partenaire équivalente et différente, capable d’entrer en relation d’altérité.
C’est en puisant dans l’homme lui-même que Dieu façonne la femme. Le terme hébreu ṣēlāʿ, souvent traduit par « côte », désigne un élément latéral porteur, comme une paroi (Exode 26/20), une chambre du temple (Ézéchiel 41/5-9) ou le flanc d’une montagne (2 Samuel 16/13). Il ne s’agit donc pas d’une côte anatomique isolée, mais d’un côté structurel, évoquant une proximité d’origine et une égalité de nature. Dieu forme ainsi une personne à partir de la substance même de l’homme, soulignant une unité d’origine dans une distinction assumée.
La reconnaissance émerveillée de l’homme — »os de mes os, chair de ma chair »— révèle plus qu’un étonnement : elle proclame une communion fondamentale. Ce que les mots expriment ici, c’est la joie de découvrir en l’autre une altérité qui ne divise pas, mais qui complète. L’homme reconnaît en la femme ni une copie, ni une étrangère, mais une compagne avec qui il peut entrer en alliance.
Le verset 24 formule alors le principe fondateur de l’union conjugale :
« L’homme quittera son père et sa mère, s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair. »
Le verbe dāvaq (« s’attacher ») exprime un lien fort, durable, souvent utilisé pour décrire la fidélité à Dieu (Deutéronome 10/20). L’unité évoquée ne nie pas l’altérité, mais l’intègre dans une dynamique d’alliance. Le mariage apparaît ainsi comme une trajectoire : quitter, s’attacher, devenir une seule chair. Cette union ne désigne pas seulement l’union physique, mais une communion de vie, de vocation et de fidélité. Le couple n’est pas un accident de la création, mais son accomplissement social et spirituel.
Enfin, la nudité sans honte du verset 25 nous parle d’une relation marquée par la transparence, la confiance et la paix. Cette harmonie sera blessée par la chute, mais elle reste un modèle vers lequel Dieu nous appelle à revenir, notamment dans le Christ, « second Adam », dont l’amour pour l’Église devient le modèle du mariage (Éphésiens 5/31–32).
Ce passage fonde une vision élevée du couple, non comme un simple arrangement humain, mais comme une vocation divine. Il nous rappelle que l’amour véritable implique l’altérité, la réciprocité et l’engagement.
Dans un monde où les relations humaines sont souvent fragiles ou instrumentalisées, Genèse 2 nous appelle à redécouvrir la dignité du lien conjugal —alliance de cœur, de vie et de foi, enracinée dans le bon dessein du Créateur.
Partager ce contenu


Laisser un commentaire