Action missionnaire : Une prière audacieuse
Par Christophe SIERRA, missionnaire en République du CONGO
« Il leur dit : La moisson est grande, mais il y a peu d’ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers dans sa moisson. » (Luc 10/2 ; Segond 21).
Derrière l’apparente simplicité de ces mots et leur compréhension aisée, se cachent, me semble-t-il, des questions troublantes qui ont éveillé chez moi quelques réflexions que je partage ici.
Tout d’abord, ce qui concerne le manque d’ouvriers actifs dans le champ divin.
Le constat sans appel, fait par Jésus il y a 2 000 ans, a acquis, par son inscription dans nos bibles, une nature intemporelle et sans cesse renouvelée : il y a toujours eu, et il y aura toujours, trop peu de personnes concernées par l’œuvre du Maître ! Un triste invariant traversant tous les âges… Voilà qui laisse pensif.
Pourquoi ce constat ? Jésus affirme pourtant que la prière est LA solution (simple) à l’ajout d’ouvriers. Faut-il en conclure que le manque chronique de bras dans la moisson serait le fruit d’un faible intérêt général pour l’œuvre divine, accompagné par le peu de prières dans ce sens ? C’est une question qui ne peut recevoir qu’une réponse personnelle.
Mais il y a plus troublant encore dans ce verset. Pourquoi donc le « maître de la moisson » ferait-il dépendre le nombre d’ouvriers dans son champ du bon vouloir de ses disciples à lui demander davantage de travailleurs ? N’est-ce pas insensé ?
Le Père céleste, « maître de la moisson », ne s’est-il pas lui-même dévoué tout entier à la moisson, en son fils Jésus, jusqu’à livrer sa vie sur la croix ? Avec un tel intérêt, ne pourrait-il pas susciter lui-même de nouveaux ouvriers, sans que ses disciples ne le lui demandent ?
Rassurons-nous : Jésus sur terre n’a « perdu » aucune des personnes que le Père lui avait confiées (Jean 17/12) ; la moisson finale sera complète ou ne sera pas. Le prix d’une seule âme est trop élevé pour le laisser entre les mains des humains faibles et inconstants que nous sommes. Que ce soit avec beaucoup ou peu d’ouvriers, la moisson s’accomplira car « la fin » ne pourra venir avant que la totalité de la tâche soit achevée (Matthieu 24/14).
Cette rassurante certitude acquise, reste à apporter un modeste éclairage sur la manière avec laquelle Dieu, par la prière, suscite des ouvriers. Pour cela, il faut considérer le but véritable de la prière.
La prière est, bien sûr, un moyen de faire connaître tous nos besoins à Dieu (Philippiens 4/6). Comme il n’exauce que les prières selon sa volonté (1 Jean 5/14-15), bonne nouvelle : le fait de demander à Dieu des ouvriers pour la moisson sera forcément exaucé puisque telle est sa volonté ! C’est déjà beaucoup, mais ce n’est pas tout.
Le but premier de la prière n’est pas tant de nous permettre d’obtenir ce que nous demandons, mais d’abord d’entretenir une profonde et intime communion avec le Père offerte par Christ : c’est un accès inouï au Lieu Très-Saint… Rien de moins. La prière est un outil divin de transformation intérieure. Le contact secret de notre âme en prière dans un cœur à cœur avec Dieu doit produire un changement en nous. Ainsi, prier « Père, envoie des ouvriers dans ta moisson » va aussi œuvrer sur un plan plus intime.
Jésus nous a laissé une prière-type dans Matthieu 6/9-13. Comment demander au Père « que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite, sur la terre comme au ciel » sans se sentir profondément concerné, mobilisé, associé soi-même à cette demande ? La question devient alors inévitable : qu’en est-il de moi, de ma vie, de ma participation active pour que tout cela advienne ?
De même, prier le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers conduira inévitablement à pareil questionnement. Une telle prière ne peut pas être effectuée sans désirer en devenir partie prenante, sinon elle est hypocrite.
Le théologien et philosophe Søren Kierkegaard a écrit1 :
« La simple dévotion croit et se figure que le principal dans ses prières, c’est que Dieu entende ce qu’elle lui demande. Et pourtant au sens éternel de la vérité, c’est juste l’inverse : dans le vrai rapport de la prière, ce n’est pas Dieu qui entend ce qu’on lui demande, c’est l’orant [ndlr : celui qui prie] qui continue de prier jusqu’à être lui-même l’entendeur, jusqu’à entendre ce que veut Dieu. Le dévot simple a besoin de beaucoup de mots, et c’est pourquoi le fond de ses prières n’est qu’exigences ; la vraie prière ne fait qu’entendre. »
« Père, envoie des ouvriers dans ta moisson »
En faisant cette prière, au contact direct de Dieu, le Saint-Esprit va progressivement éveiller notre esprit à notre part personnelle dans la moisson du Maître pour laquelle nous prions. Alors la prière ne sera plus « Seigneur, envoie-les », mais « Seigneur, envoie-moi » !
N’est-ce pas l’expérience d’Ésaïe lorsqu’en présence de Dieu il entend :
« Qui vais-je envoyer et qui va marcher pour nous ? » J’ai répondu : « Me voici, envoie-moi ! » (Ésaïe 6/8 ; Segond 21) ?
Des paroles similaires se trouvent en Hébreux 10/5-9 concernant Jésus lui-même.
Oui, c’est une prière audacieuse et même courageuse
Assurée d’un plein succès d’un côté, elle ne manquera pas en plus, si elle est faite d’un cœur sincère et entier, de nous transformer de telle manière que nous deviendrons nous-mêmes, à la manière et selon le plan de Dieu, des ouvriers dans sa moisson.
Cher lecteur, seras-tu le prochain ouvrier à te lever résolument pour la moisson ? Le Maître t’y attend.
1 Journal (extraits), I, 1834-1846, Paris, NRF Gallimard
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