Droit de mourir ou devoir de partir ?

Par Thierry LAINEL, pasteur-aumônier

Un projet de loi concernant la fin de vie est en marche et comporte un volet consacré à l’euthanasie et l’aide active à mourir :

– La première consistant à provoquer le décès d’une personne à sa demande ;

– La seconde à s’administrer soi-même la substance létale.

La question qui se pose concerne le sens que la société donne à la vie.

La loi énoncera les valeurs que reconnait notre pays et fixera de nouveaux repères, en particulier concernant les personnes en fin de vie ou atteintes d’une maladie incurable. L’avis 139 du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNI) du 13 septembre 2022 a ouvert la voie à une évolution législative autorisant l’aide active à mourir. Ce serait une rupture civilisationnelle : la possibilité de donner la mort de façon légale.

Aujourd’hui la fin de vie est encadrée par la loi Clayes-Léonetti du 2 mars 2016. Celle-ci ne permet ni l’euthanasie, ni le suicide assisté, mais autorise une sédation profonde et continue jusqu’au décès, afin de limiter la souffrance dans les derniers moments.

La demande, très limitée en nombre, de certains malades d’en finir avec la vie résulte de la souffrance physique insupportable ou de l’appréhension de celle-ci, de la crainte de perdre leur autonomie, leur indépendance, leur dignité.

Le développement des services de soins palliatifs, en particulier d’unités fixes, constituerait une réponse aux questions posées, et permettrait d’éviter une évolution de la loi actuelle. La prise en charge globale du patient et une politique d’accompagnement des mourants par des psychologues et aumôniers doivent être privilégiés.

L’argument d’une injustice sociale, puisque seules les personnes aisées peuvent demander l’euthanasie ou le suicide assisté à l’étranger, ne peut peser dans la balance pour un sujet sociétal aussi important. On ne peut affirmer que le coût du vieillissement et son enjeu économique motivent ce projet, mais on ne peut empêcher certains de l’évoquer. Nonobstant les progrès de la médecine, l’insuffisance de la prise en charge médicale accélère le processus de recours à des solutions plus radicales, tout en respectant la volonté du malade.

Que dire de ceux qui, aujourd’hui, veulent en finir avec la vie, et n’auront donc plus la possibilité de changer d’avis, si on accède à leur volonté de partir ? C’est un aller simple sans retour possible. Le chrétien peut aussi objecter que l’on ne laisse plus à Dieu sa souveraineté sur la vie humaine, ni la possibilité d’intervenir en faveur du malade, quelle que soit la gravité de la pathologie. Le législateur a-t-il pensé à ceux qui seront acteurs du geste qui donnera la mort (famille, proches, personnel soignant) et aux conséquences désastreuses qu’elles engendreront dans leur vie ?

La vocation du personnel médical est de soigner, pas de donner la mort. N’est-ce pas, pour un médecin, le reniement du serment d’Hippocrate, texte fondateur de la déontologie médicale ?

Certes le professeur Delfraissy, président du CCNI, nous confiait au printemps lors d’une rencontre à l’Assemblée nationale, quelques jours avant l’annonce du processus parlementaire, que la majorité des médecins voyaient dans ce projet un cadre législatif protecteur nécessaire. La crainte des familles procédurières, en fin de vie de l’un de leurs proches, peut expliquer cette opinion corporatiste.

Toutefois le personnel soignant, confronté de près aux malades et mourants, est très majoritairement favorable au maintien de la législation actuelle. Si cette loi devait être promulguée, ne permettrait-elle pas une évolution au fil du temps, transformant le droit de mourir en un devoir de partir ?

Il n’y a ni raisons légitimes, ni urgence à légiférer pour de nouvelles dispositions légales en la matière. Il faudrait dans un premier temps mesurer l’impact de la loi Clayes-Léonetti de 2016, généraliser les services de soins palliatifs et favoriser l’accompagnement de ceux qui vivent leurs derniers instants.

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