Le coin de l’exégèse : Hébreux 6/1

Par Jean-Marc DI COSTANZO, spécialiste en exégèse biblique

« C’est pourquoi, puisque vous avez délaissé la parole que le Christ a annoncée au commencement, tendons à présent vers ce qui est parfait. »

Une épître difficile à traduire

Après avoir étudié Hébreux 1/91, il convient de s’arrêter un moment sur Hébreux 6/1, car il existe un lien entre ces deux versets. On ignore qui a écrit l’épître aux Hébreux ; mais, d’après Hébreux 2/3, l’auteur appartiendrait à la seconde génération, Barnabas et Apollos étant les noms les plus cités par les Pères de l’Église.

Par son style très élaboré, cette épître cause beaucoup de difficultés aux traducteurs, ce qui les pousse trop souvent à suivre leurs prédécesseurs, même si cela les conduit à ne pas lire le texte tel qu’il se présente, comme dans le cas d’Hébreux 6/1.

La bible Segond propose par exemple : « C’est pourquoi, laissant les éléments (en grec, le commencement) de la parole de Christ, tendons vers ce qui est parfait. » Selon l’interprétation habituelle, l’auteur demanderait à ses lecteurs de grandir en maturité et de ne pas rester au niveau basique du point de vue de la foi. Il est au moins reconnu que cette épître s’adresse à des chrétiens (voir Hébreux 6/10).

Or, ce verset, traduit littéralement, déclare ceci : « C’est pourquoi, ayant abandonné la parole de Christ du commencement, tendons vers ce qui est parfait » ; et non : « délaissant le commencement de la parole de Christ ». En fait, dans nos traductions, on a inversé le complément d’objet et le complément de nom.

L’influence de la Vulgate

De plus, sous l’influence de la Vulgate2, qui traduit l’aoriste (temps du passé) par un présent, on a remplacé le participe passé aphentes (du verbe aphièmi, abandonner, délaisser) par le participe présent délaissant. « Ayant délaissé » correspond donc à la traduction exacte.

Qu’ont-ils délaissé, ou plutôt qu’ont-ils abandonné ? Ils ont abandonné l’Évangile, c’est-à-dire la parole de Christ telle qu’on la leur avait annoncée au commencement, ou telle qu’ils l’avaient reçue au commencement (voir Hébreux 2/1-3). Cette fois, la Vulgate traduit pourtant correctement.

Selon Hébreux 6/4-6, l’auteur avertit ses lecteurs qu’il est impossible que ceux qui ont été éclairés, qui ont goûté aux dons célestes, qui ont eu part au Saint-Esprit, à la révélation, à la compréhension de la parole, et qui sont tombés, soient encore renouvelés et amenés à la repentance, puisqu’ils crucifient pour leur part le Fils. L’auteur prévient clairement qu’il est possible de recevoir et de perdre son salut.

L’influence du judaïsme hellénique

Il semble que, comme chez les Galates, ces Églises fondées dans un milieu païen -dans lequel travaille Timothée (Hébreux 13/23)- se sont laissé influencer par le judaïsme, puisqu’il est combattu dans cette épître. Ce serait la raison pour laquelle l’auteur, probablement un collaborateur de Paul, s’attache à démontrer la supériorité du sacerdoce de Christ par rapport au système sacrificiel attaché au Temple -qui existe encore à ce moment-là- et instauré par Moïse.

Or, d’après les spécialistes, cette démonstration se base typiquement sur l’exégèse allégorique issue de la pensée grecque, telle qu’on la rencontre à Alexandrie. En adoptant ainsi le langage et le raisonnement de ses lecteurs, l’auteur laisse à penser combien le judaïsme hellénique s’est introduit dans ces Églises et les a détournées de la foi de l’Évangile.

L’héritage, un enjeu majeur

Lorsqu’on lit l’Épître aux Hébreux, on se focalise trop souvent sur le sacerdoce de Christ, alors que l’auteur l’utilise comme support pour nous exhorter à revenir à l’Évangile, afin de ne pas perdre l’héritage promis à ceux qui ont part avec Christ (Hébreux 1/9 ; Galates 4/21-31).

De fait, il serait souhaitable de relire en profondeur les avertissements qui se situent en Hébreux 3/7 à 4/13 ; 5/11 à 6/12 ; 6/13-20 (proche de Galates 3/15-20) ; Hébreux 10/19 à 11/17 ; 12/28 à 13/19.

Comme chez Paul, le thème de l’héritage apparaît comme un enjeu majeur dans cette épître. Pour que les lecteurs ne le perdent pas, l’auteur insiste sur celui que partage Christ avec les siens1. Paul avait déjà prévenu les Galates à ce sujet : « Vous êtes séparés de Christ, vous tous qui cherchez la justification dans la loi ; vous êtes déchus de la grâce. » (Galates 5/4). Or, Dieu a fait de la grâce le seul moyen par lequel on peut être sauvé.

Perdre la grâce revient donc à perdre le salut. Pour participer à l’héritage, il existe, en effet, une condition sine qua non, parfaitement bien définie en Hébreux 3/14 :

« Nous sommes devenus ceux qui ont part avec Christ (à l’héritage céleste), si toutefois nous retenons fermement jusqu’à la fin l’assurance que nous avons reçue au commencement. »

Alors que les hérésies se multiplient dans nos Églises, la persévérance dans la sainte doctrine demeure la seule réponse possible, car c’est par elle et par la foi qu’on hérite des promesses (Hébreux 6/12).

Que le Seigneur nous aide à garder en nous l’espérance de cet héritage si grandiose, que celle-ci nous guide sur le chemin de notre vie, afin d’accomplir la volonté de Dieu avec persévérance pour obtenir ce qui nous est promis (Hébreux 10/36).

1 Voir l’article paru dans le Pentecôte de février 2023.

2 Vulgate : Version latine de la Bible à partir du texte hébreu.

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