La charge mentale en milieu ecclésial
Par Willem TALBOT, pasteur, thérapeute conjugal et familial
Le sujet de la charge mentale semble de prime abord inconnu, surtout lorsque l’on cherche à définir le concept. Pourtant, chacun d’entre nous vit à plus ou moins grande échelle une charge mentale, que ce soit à la maison, au travail ou à l’Église.
Qui n’a jamais anticipé la difficulté d’une ou de plusieurs tâches à effectuer, avec une obligation de résultat et cette simple question : comment faire ? Par exemple, vous pourriez avoir l’habitude de préparer seul(e) plusieurs enfants chaque matin pour les amener à l’école. La répétition de leurs maladies infantiles pourrait générer une charge mentale intense, à la suite de réflexions et d’inquiétudes pour prendre en compte la réalité du moment (visite médicale et traitement, garderie, arrangement avec l’employeur, etc.) et, dans le même temps, continuer à fonctionner normalement avec les autres enfants.
À l’Église, pour l’organisation d’événements publics tout au long de l’année, la difficile tâche de manager des bénévoles peut s’avérer une charge mentale importante lorsqu’il s’agit de gérer les absences, les humeurs, les plaintes et autres spécificités personnelles, alors que le temps et les impératifs demeurent.
La charge mentale peut s’avérer difficile à déceler, car elle implique un travail mental silencieux et souvent non visible. De ce fait et sans s’en rendre compte, nous sommes amenés à vivre de la charge mentale dans notre quotidien, et c’est peut-être cette absence de compréhension du phénomène qui nous amène, bien involontairement, dans un cycle qui dégrade notre santé mentale.
Définitions
Commençons par définir ce qu’est la charge mentale. Dans son Grand Dictionnaire Terminologique, l’Office québécois de la langue française définit la charge mentale comme étant la « sollicitation constante des capacités cognitives et émotionnelles d’une personne, liée à la planification, à la gestion et à l’exécution d’une tâche ou d’un ensemble de tâches ». De ce fait, « une trop forte charge mentale peut occasionner du stress ou de l’épuisement ».
Jessica Pothet, maîtresse de conférences et chercheuse en sociologie, cite Nicole Brais, chercheuse en philosophie, et précise que le travail qu’induit la charge mentale doit être à la fois maintenu intact, incontournable et constant, dans l’objectif de satisfaire les besoins de chacun et la bonne marche de l’organisation.
Pour leur part, les Éditions Tissot, dans leur Lexique du droit du travail, définissent la charge mentale comme étant « l’ensemble des sollicitations du cerveau pendant l’exécution du travail […] La charge mentale résulte d’une interaction complexe de facteurs individuels, techniques, organisationnels et sociaux. C’est donc une « contrainte » de travail qui est non seulement fonction des exigences inhérentes à la tâche (contrainte de temps, complexité, vitesse, minutie, attention demandée, etc.) mais également des capacités de traitement de la personne chargée de l’exécuter.
Cela concerne donc le processus de perception et de traitement des informations lors de l’exécution de l’activité. Cette charge mentale apparaît comme la conséquence de l’utilisation par le travailleur de l’ensemble de ses fonctions mentales pour réaliser la tâche […] Elle peut avoir des effets sur la santé au travail et être notamment à l’origine du stress. La charge mentale est caractérisée par deux critères, la durée et l’intensité :
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la durée : elle est chronométrée ou estimée suivant des standards de temps. C’est ce temps qui servira de base pour déterminer le temps opérationnel ;
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l’intensité : elle prend en compte l’effort fourni pour réaliser la tâche. »
On peut donc retenir que durant l’exécution d’une tâche, la charge mentale sollicite une forte activité cérébrale et émotionnelle, afin de maintenir intacte une organisation déjà en place. Les aléas, les imprévus, les contraintes et toutes les autres exigences inhérentes à la bonne exécution de la tâche peuvent, s’ils sont constants et intenses, générer du stress, voire de l’épuisement.
Que pouvons-nous dire de la charge mentale dans le contexte ecclésial ?
La charge mentale dans le contexte ecclésial met en lumière les responsabilités invisibles que peuvent porter certains membres de la communauté. La vie d’Église implique de nombreuses tâches de coordination, telles que la planification des cultes, l’organisation des événements, la gestion des finances, l’enseignement dans des groupes d’étude biblique, etc.
Pour leur part, les leaders spirituels portent également une charge mentale importante, soit parce qu’ils se donnent eux-mêmes des objectifs incompatibles avec les moyens mis à leur disposition, soit en raison des attentes élevées de leur communauté. Comme le dit Sylvie Hamon-Cholet dans son article La charge mentale au travail : « Moins on a de moyens, plus on vit de tensions. »
Par ailleurs, ils doivent répondre aux besoins spirituels, émotionnels et sociaux des membres de leur congrégation, tout en jonglant avec leur vie personnelle, et parfois leur propre vie professionnelle quand ils sont bénévoles au sein de la communauté. Les facteurs temps, disponibilité, urgence et priorité d’une situation particulière, surcharge de l’agenda, peuvent contribuer à alourdir davantage la charge mentale des responsables spirituels.
Prenons le cas précis des personnes engagées dans des rôles de soutien pastoral, et qui peuvent ressentir une charge mentale liée à l’accompagnement spirituel des membres de la communauté. Initialement, il aurait fallu que toutes ces personnes soient dûment formées pour pouvoir écouter les problèmes d’autrui, suivre des situations complexes telles que la maladie, les deuils, les conflits de types interpersonnels, conjugaux ou familiaux. Il serait également nécessaire qu’au-delà d’une formation académique initiale une supervision soit mise en place pour les intervenants, afin de les aider à gérer les impacts vécus durant leurs pratiques. La supervision est obligatoire pour les professionnels de la santé mentale (psychiatre, psychologue, thérapeute, etc.), mais inexistante en milieu ecclésial.
Dans son article « Clinical supervision: a concept analysis », Gordon M. Lyth mentionne une définition de la supervision : « Un processus formel de soutien professionnel et d’apprentissage qui permet aux praticiens individuels de développer leurs connaissances et leurs compétences, d’assumer la responsabilité de leur propre pratique et d’améliorer la protection des consommateurs et la sécurité des soins dans des situations cliniques complexes. »
Par ailleurs, la supervision clinique a été décrite dans la littérature comme du « temps pour moi », c’est-à-dire d’avoir son propre espace de verbalisation, cette possibilité d’être à son tour entendu et compris, en partageant ses propres difficultés liées à la pratique de l’accompagnement des personnes en difficulté. L’auteur A. Berg et ses collaborateurs ont avancé que l’un des avantages perçus de la supervision clinique est de soulager le sentiment de stress chez les praticiens qui y participent.
On peut facilement admettre que le stress ressenti dans le processus d’accompagnement est un élément qui ne fait pas de distinction entre un professionnel de la santé mentale, un pasteur, un responsable spirituel bénévole, ou un laïc. Dans ce cas, il nous faut aussi admettre que l’absence de supervision alourdit considérablement la charge mentale des accompagnants en milieu ecclésial.
On peut identifier quelques-uns de ces facteurs « alourdissant ». Les accompagnants peuvent être confrontés à des émotions fortes, telles que la colère, la tristesse ou l’anxiété, en réponse aux histoires des personnes. Ces histoires peuvent générer une situation émotionnellement exigeante et le sentiment de porter un fardeau trop lourd dû aux problématiques particulièrement complexes.
La supervision avec une personne qualifiée et expérimentée permet de :
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réfléchir à ces réactions émotionnelles et éviter qu’elles n’affectent négativement l’accompagnement ;
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offrir un espace pour discuter de ces défis émotionnels et prévenir l’épuisement en soutenant la gestion du stress ;
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obtenir un retour et des conseils pratiques.
Pistes de réflexions
Nous aurions pu identifier et détailler bien d’autres sujets présents dans le milieu ecclésial et pouvant être potentiellement la source d’une charge mentale pour les acteurs de la vie d’Église. La question n’est pas tant de savoir s’il existe vraiment de la charge mentale dans ce type de milieu, mais plutôt de savoir quoi faire.
De manière préventive, il serait crucial de développer une culture de soutien mutuel où les tâches sont distribuées selon la mesure des réelles capacités des personnes et en fonction des moyens alloués. Ce qui permettrait d’aligner les objectifs sur ce qu’il est réellement possible de faire. Il serait également important d’encourager une participation plus équilibrée entre les membres de l’Église où, sans culpabilité ni pression, chacun se sent libre de contribuer selon ses capacités. Des ateliers pourraient être organisés pour sensibiliser à la charge mentale et à ses effets, en mettant l’accent sur l’importance de déléguer, la joie de construire ensemble, ou la force qui réside dans une communauté bienveillante et solidaire autour d’un projet donné.
De manière curative, les pasteurs, les responsables, les intervenants en relation d’aide ou impliqués dans le soutien pastoral devraient avoir accès à des ressources pour gérer leur propre charge mentale, comme des retraites spirituelles ou des conseils professionnels avec la mise en place d’une supervision adaptée au contexte.
Finalement, aborder la charge mentale dans le contexte ecclésial permet de mieux comprendre les dynamiques communautaires et de trouver des moyens d’instaurer un équilibre sain entre les besoins individuels et collectifs.
Sources :
https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26543825/charge-mentale
https://theconversation.com/penser-a-tout-pourquoi-la-charge-mentale-des-femmes-nest- pas-pres-de-salleger-221659
https://www.editions-tissot.fr/guide/definition/charge-mentale
https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_2000_num_339_1_7487
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10718893/
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