À quoi sert l’image pour le chrétien ?

Par Kévin PATIKOU, entrepreneur dans l’informatique

« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre. »  (Deutéronome 5/8)

Lorsqu’un chrétien cherche à plaire au Seigneur, il pense rarement à ce deuxième commandement. Et pour cause, il prescrivait aux Israélites de ne pas essayer de reproduire des images ou des statues représentant le Royaume de Dieu dans le but de les adorer.

Cet interdit portait également sur sa personne : Dieu ne veut pas qu’on le réduise à une image.

Aujourd’hui, ce commandement semble désuet, à première vue, pour les chrétiens de confession protestante et évangélique. Néanmoins, il est toujours d’actualité.

Lorsque Moïse reçut les deux tablettes de la Loi, le peuple hébreu venait tout juste de sortir d’Égypte, une société particulièrement idolâtre qui plaçait les statues et les peintures au centre de son imaginaire, de sa spiritualité et même de son langage (les hiéroglyphes sont des dessins).

Dieu a voulu apporter avec la Loi une nouvelle culture, et faire ainsi passer Israël d’une culture de l’image à une culture de l’écrit. Au lieu de se présenter comme un dieu tangible et matérialisé par des représentations imagées (comme l’étaient les dieux des Égyptiens), il s’est présenté à Israël comme le Dieu intangible, et symbolisé par une représentation écrite. Le Nouveau Testament nous apprendra par la suite qu’il y a là plus qu’un simple symbole : Jésus-Christ, le Messie, est décrit comme « la Parole de Dieu ». Il est le Logos incarné.

C’est un grand mystère, dont nous ne pourrons probablement jamais saisir toute la portée. Mais il implique une affirmation radicale de Dieu au peuple d’Israël, et maintenant à tous ceux qui reconnaissent Jésus-Christ : la volonté générale et souveraine de Dieu pour l’humanité nous est communiquée par le langage écrit. En définitive, Dieu a voulu créer une culture du langage écrit. Il a voulu que la foi, c’est-à-dire la croyance en la vérité, trouve son socle dans les Écritures saintes, ce qui se voit à la façon dont il indique que la foi nous est communiquée.

Lire et regarder sont deux choses bien différentes

L’influence de la lecture comme moyen privilégié de communication et de révélation spirituelle privilégié a, dans une société donnée, des effets majeurs. La lecture a en effet ses exigences particulières :

  • Pour lire, nous devons rester plus ou moins immobiles pendant un certain temps ;
  • Nous devons nous concentrer sur le sens des mots ;
  • Nous devons faire preuve d’abstraction pour comprendre le sens, puis d’imagination pour visualiser mentalement ce que nous lisons ;
  • Nous nous détachons de l’esthétique du visuel qui nous est présenté, ce qui implique une posture de détachement, de rationalité et d’objectivité ;
  • Nous ne nous attachons pas à l’attrait visuel des choses, mais au sens des mots.

Le langage visuel est complètement différent :

  • Nous pouvons saisir une image ou une vidéo en un instant. Notre système visuel saisit une image en 13 millisecondes seulement. Dès lors, même lorsque nous n’avons pas eu le temps de réaliser consciemment ce qui se passe, notre intellect va classifier cette image, et réagir émotionnellement à elle.
  • Nous n’avons aucun besoin de consécration, de concentration, d’attention ou d’intention particulière. Nous avons juste besoin d’avoir les yeux ouverts, notre système nerveux et cérébral opère le reste automatiquement.

Nous avons donc deux postures opposées : avec le langage écrit, nous sommes dans une posture active. Nous lisons avec l’objectif conscient de saisir le sens de ce que nous lisons.

Avec le langage verbal, nous sommes dans une posture passive. Nous regardons simplement avec l’objectif inconscient de tirer du plaisir de ce que nous voyons, comme l’Ecclésiaste l’a décrit :

« L’œil ne se rassasie pas de voir. » (Ecclésiaste 1/8).

L’image peut donner soif de la Bible, quand elle la respecte

Le langage visuel a donc des faiblesses intrinsèques. Mais il a aussi des avantages : les images communiquent rapidement et facilement du sens, et peuvent être partagées instantanément aujourd’hui grâce aux progrès techniques. C’est ce qui leur a donné une place de choix dans les sociétés actuelles, si bien que l’image est aujourd’hui prépondérante pour communiquer le message de l’Évangile.

Le cas des films chrétiens montre la subtilité du sujet. S’ils sont encore rares en France, ils sont très populaires aux États-Unis, et sont un instrument d’évangélisation à part entière pour leurs producteurs et leurs équipes. Leur constat est le suivant : si la population est réceptive aux messages et à la philosophie communiqués dans les films à grand succès, il est essentiel d’utiliser ce langage pour véhiculer le message de la croix, et toucher ainsi ceux qui sont difficiles à atteindre. Au lieu d’une évangélisation limitée aux quatre murs des assemblées, il s’agit aussi de toucher la culture populaire.

Cela porte ses fruits. Les succès de films tels que God’s Not Dead, Jesus Revolution ou encore le fameux Passion du Christ montrent qu’il est possible de porter le message de l’Évangile à travers le média visuel. Mais gardons toujours en tête qu’il s’agit de l’expression subjective et imparfaite de leurs auteurs, d’une mise en forme cinématographique de l’Évangile. Jésus-Christ n’est pas le metteur en scène de ces longs-métrages, même s’il en est le sujet.

Les limites de cette méthode d’évangélisation tiennent surtout au souci de véracité biblique. Le spectateur averti verra certaines erreurs factuelles dans plusieurs des films d’inspiration biblique. C’est le cas, par exemple, du téléfilm Joseph de 1995, décrivant des scènes dans lesquelles le Pharaon réagit durement à l’interprétation des songes présentée par Joseph. En réalité, la Bible indique que Pharaon a accepté immédiatement cette interprétation, sans avoir d’hostilité particulière envers Joseph. Cette erreur factuelle n’a pas de grande signification pour la foi du spectateur, mais elle montre que nous devons toujours regarder ce type de film avec la Bible ouverte.

Il y a, hélas, des cas plus surprenants et problématiques. Ainsi en est-il du film The Shack (Le Chemin du pardon) sorti en 2017, qui accumule, en dépit d’un franc succès au box-office, des écarts doctrinaux regrettables. Nous y découvrons un protagoniste endeuillé, reclus dans une maison de campagne, qui y rencontre Dieu, Jésus-Christ et le Saint-Esprit sous formes humaines. Parmi les autres confusions doctrinales, la plus problématique est apportée sans détour au cours de la narration : Dieu pardonne toute l’humanité, sans aucune exigence de repentance. Le sacrifice de Jésus-Christ est rendu caduc par le film.

Tous les films chrétiens ne tombent pas dans de telles contradictions, mais celui-ci nous révèle que la ligne à ne pas dépasser est la conformité à la Bible, et qu’il peut être tentant, pour des producteurs, de sacrifier l’exactitude de la Bible au profit d’une narration plus agréable à la vue.

Les deux plus grands défis de la vie chrétienne consistent à parler à Dieu et à l’écouter, c’est-à-dire à le prier de façon ouverte et sincère et à méditer sa parole. Les images et les vidéos qui portent sur la Bible peuvent nous aider à grandir spirituellement. Mais elles ne peuvent pas remplacer la nourriture de la parole, au risque de tomber dans des pièges : celui des fausses doctrines, et celui visant à représenter le Dieu invisible par une image visible.

Il est important de garder en tête que la parole de Dieu est, et demeurera toujours, plus vraie que toutes les images que le monde peut créer. Mais les images sont un instrument essentiel pour apporter le message de l’Évangile. Tout l’enjeu réside dans le respect de la Bible et de son auteur. C’est alors que l’image peut donner un aperçu de la largeur, de la longueur, de la profondeur et de la hauteur de l’amour de Dieu pour nous.

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